Le homard (2ème et dernière partie)
Ce soir, elle était revenue. Elle avait
encore sa clé. Dommage car sinon, je ne lui aurais pas ouvert. Elle
s’était installée sur le canapé, m’avait pris la télécommande des mains
et d’autorité, avait éteint la télé avant de m’asséner un “ faut qu’on
parle, toi et moi ”. Elle m’avait alors expliqué combien elle m’aimait,
à quel point elle était déçue que l’on ne s’entende pas et que, d’une
certaine façon, elle se demandait si son couple n’était pas allé à la
dérive par ma faute. En bref, il fallait que j’arrête de faire ma
mauvaise tête et tout irait bien. Ben voyons.
Toute la soirée, je
m’étais demandée ce qui se passerait quand Papa rentrerait. Parce qu’il
allait rentrer et pas tout seul. Ca, je le savais et m’étais bien
gardée de le dire à Sandrine. J’aurais pu le faire pour qu’elle
déguerpisse, qu’elle arrête de me soûler avec ses mises au point et ses
réajustements nécessaires, comme elle dit. Oui, j’aurais pu tout lui
balancer mais dans un sens, c’était plus drôle de voir la mise à mort.
Enfin, ça, c’est que je croyais avant de voir Charlotte.
C’est
bizarre comme on peut instantanément aimer quelqu’un. C’était peut-être
ça ce qu’on appelle le coup de foudre. Sauf que moi, au lieu d’éprouver
cela pour un garçon de mon collège ou un type croisé dans la rue,
c’était pour cette femme qui se chiffonnait en face de moi dans
l’entrée de ma maison. Ca me faisait comme du froid à l’intérieur de la
poitrine.
Papa, à ma gauche, était muet. Je sentais dans mon dos
Sandrine. Sandrine qui, après notre conversation, s’était assoupie sur
le canapé tandis que je réalisais que, dans l’histoire, je n’avais rien
mangé de la soirée. J’étais alors allée à la cuisine et c’est là qu’ils
étaient arrivés. Sandrine avait sûrement été réveillée par le bruit
dans l’entrée. Il faut dire que Papa ne s’attendait pas à ce qu’elle
soit là. Il m’avait même dit, avant-hier, en ramassant les débris de
leur querelle qu’il s’était trompé sur elle et qu’il allait demander le
divorce.
Nous n’avions pas bougé d’un pouce. Un peu comme deux
armées se jaugent avant de lancer l’assaut. C’est Charlotte qui a lâché
la première. Elle a reculé vers la porte, un peu comme si elle espérait
que personne ne la verrait puis se sentant prise au piège, a lâché dans
un souffle :
- Je crois qu’il vaut mieux que je m’en aille.
C’est
alors que ça s’est rompu à l’intérieur, j’ai hurlé “ non ” et me suis
écroulée à terre. J’ai senti les mains de Sandrine agripper mon dos
pour me relever et là, Papa a dit froidement :
- T’as pas cassé assez de choses comme ça ? Tu t’en prends à ma fille maintenant ?
Mais
c’était trop tard, Charlotte était déjà partie et c’était lui qui avait
tout cassé, trop de fois. Entre deux sanglots qui semblaient venir de
mes entrailles, je pris plusieurs décisions qui allaient infléchir le
cours de ma vie future, j’en étais sûre : retourner vivre avec maman,
ne jamais manger de homard et si un jour, j’avais une fille, l’appeler
Charlotte.