ça ne devrait pas être
il y a assez longtemps alors que j'étais aux halles, je me suis
assise sur les petites marches qui, étonnamment, étaient sèches pour
une fois (je vais y venir mais à une époque, elles étaient constamment
mouillées, comme s'il avait plu, phénomène relativement étrange vu que
ces marches sont situées à l'intérieur), dos à la verrière, face au
côté de la fnac au niveau -3, celui auquel on accède par le grand
escalator où ceux qui montent observent ceux qui descendent et vice
versa.
Bref, j'étais assise et je rangeais mon sac. Je range souvent
mon sac. Et un type de la sécurité est venu me voir et m'a dit: "vous
ne devez pas vous asseoir là. J'ai levé la tête, j'ai souri et j'ai dit
: "ah bon, pourquoi?"
Et j'attendais qu'il me donne une raison
valable pour me lever. Je suis très disciplinée si on me donne une
raison valable de l'être.
Ce qu'il aurait dû me dire, c'est "nous ne
voulons pas que les gens s'attroupent ici, déjà que c'est un des plus
grands points de rencontre de la capitale, si les gens se mettent à
s'asseoir là, on ne s'en sort plus."
Mais non, ça, ça ne faisait pas
partie de son rôle. Et puis les gens qui disent "pourquoi?" en
souriant, ça décontenance. Surtout quand ils n'ont pas l'air de
dangereux loubards.
Comme j'aime discuter (je suis française, on ne
se refait pas, le français aime argumenter et râler, c'est même un
sport national), j'ai essayé de comprendre le pourquoi du comment mais
je n'ai réussi qu'à l'embarrasser. Comme j'avais fini de ranger mon sac
et que visiblement ma présence le contrariait, je l'ai tiré de son
désarroi et je suis partie. Fin de l'épisode.
quelques semaines ou
jours plus tard, me souviens plus de la chronologie, me revoici sur les
mêmes marches à ranger mon sac (j'avais dû acheter un truc à la fnac et
j'essayais de le faire rentrer dans mon sac) et là, j'ai enfin
l'explication des marches mouillées...
car je vois arriver un type avec un arrosoir et conscieusement mouiller les marches sur toute la longueur près de la verrière.
Alors
forcément, je m'esclaffe et vais discuter avec lui. Et c'est lui qui
m'explique que c'est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour empêcher les
gens de s'asseoir là et de s'attrouper.
C'est très rigolo, très
ingénieux et un rien artisanal mais je crois que c'est un des trucs qui
me déplaisent le plus ici. L'idée qu'il faille faire les choses en
loucedé.
Qu'au café, on t'empêche de t'installer sur une banquette
sur une table à 4 dans l'idée que de potentiels clients qui ne sont pas
là (et d'un) et qui peut-être ne viendront pas (et de deux) mais
pourraient éventuellement venir plus tard, tellement plus tard que tu
pourras même n'être plus là.
Alors dans une salle vide, parfois on
t'empêche de t'installer où tu veux au cas où d'autres hypothétiques
voudraient s'asseoir où tu es.
On parie sur du rien et on contrarie la personne qui est là. Incroyable comme raisonnement, non?
et moi dans ce cas-là, je dis "mais je bougerais... ne vous
inquiétez pas" et ce 'est pas du chiqué de ma part, mais non, "ils ont
des ordres" des ordres idiots, ils le savent bien, mais des ordres
quand même.
et moi, je raye un autre café de ma liste pour des choses comme ça. parce que c'est au delà du ridicule, c'est crétin.
Ah
par contre, si tu t'es faufilé, que t'as pris une banquette, que t'as
planté ton campement et que t'as pas l'air sympatoche, on n'ose pas
systématiquement te dire de bouger.
Moi, je dois avoir l'air drôlement sympathique parce qu'ils viennent souvent me chercher des poux.
Sauf
dans les cafés où ils me connaissent et où ils savent que je suis une
gentille fille qui bougera en cas d'affluence. Et que ce n'est pas de
la blague.
Je suis très gentille et je n'embête pas les autres, du
moins j'essaie. Je suis de l'avis que ma liberté s'arrête où commence
celle des autres. Mais franchement, si on me cherche et qu'on veut
m'intimider, on me trouve. Parce que j'ai beaucoup de mal avec
l'autorité, les rapports de force. Ca me fout en rage qu'on veuille me
faire plier. Et là, je peux ergoter par esprit de contradiction et
parce que je ne supporte pas l'injustice.
J'ai beaucoup
d'entraînement. J'ai commencé à l'école, j'ai compris qu'il était plus
simple (en tout cas pour moi) d'être bonne élève et essayer de coincer
le professeur (pour rigoler et me distraire) que d'être cancre et au
dernier rang. Du style à lever la main et à dire que ce qu'il venait de
dire était en contradiction avec ce qu'il avait dit dix minutes
auparavant. Je crois avoir beaucoup fait rigoler (et parfois exaspéré)
mes camarades, ce faisant et parfois agacé mes professeurs. Mais ils
m'aimaient bien parce qu'ils voyaient que je ne faisais pas ça
méchamment et que je m'intéressais sincèrement au cours. Et puis
surtout, c'était ça ou m'ennuyer à périr.
mais par contre, le
rapport de force "c'est comme ça et pas autrement", j'ai du mal. Que ce
soit avec les flics, les chefaillons ou les loubards. L'intimidation
violente me révolte.
Je respecte les lois parce que toute société a
besoin de lois pour fonctionner, parce qu'il y a des avantages à vivre
en société, du pain parce que les boulangers en font, des postiers pour
acheminer le courrier, de la lumière quand on appuie sur le bouton et
que je ne suis pas pour le retour à la vie sauvage avec les bêtes genre
insectes venimeux et les vêtements (si l'on a su s'en fabriquer) à
laver dans la rivière. Par conséquent, je paye mes factures, je
respecte les règles si on m'explique pourquoi elles sont nécessaires.
Donc quand je paye mon ticket de métro, que je suis assise dans mon coin à lire mon bouquin, habillée tellement sobrement que je ne devrais pas attirer l'attention, qu'il est 19h30, un jour férié, que je suis dans Paris, je devrais avoir le droit de ne pas être enquiquinée par deux jeunes abrutis qui m'insultent parce qu'ils se croient au dessus de tout et que surtout ils recherchent la castagne.
Le drôle dans l'histoire, c'est qu'ils ne s'attendaient pas à ce que je prenne la mouche. Ils pensaient que j'allais avoir peur, me recroqueviller. Erreur. Je réagis très mal à l'intimidation et à l'impératif. Surtout quand franchement, c'est déplacé.
Mais le pire dans l'histoire, c'est que plus personne ne réagit et ne prête main forte (au moins verbalement) quand deux jeunes cons emmerdent une femme dans un wagon. Ils écoutent de loin, suivent l'évolution du débat, flippent sur leur banquette.
Et le pire du pire, c'est que si ça avait dégénéré sévère, si ça avait dépassé les insultes verbales (je vous les épargne, ce sont celles faites aux femmes depuis que les femmes et les hommes se baladent sur la planète bleue un chouïa mises au goût du jour - je ne crois pas qu'il y avait des tapineuses à l'époque ou tout du moins le terme n'existait pas encore - et je ne crois pas que les camées allaient acheter leur dose à Stalingrad et que les travellos existaient quand les dinosaures déambulaient encore - toutes, ils me les ont toutes dites et d'une manière tellement méprisante du haut de leurs peut-être quinze ans que c'en était au delà du minable), si de deux ils avaient été rejoints et qu'ils étaient devenus cinq ou plus, s'ils avaient sorti un canif ou autre chose et m'avaient charcutée, ceux qui restaient assis bien coits, ne pouvant pas ne pas entendre auraient eu le culot de dire que c'était de ma faute. (Attention âmes sensibles et promptes à vous effaroucher, je n'attaque pas les camées, les travellos et les tapineuses, etc... Je ne fais que citer une partie des bêtises que ces deux crétins m'ont sorties, espérant me faire réagir et déraper).
Et ça, entre la non-intervention et la trouille du restant du wagon, c'est le pire. Ca veut dire que c'est chacun pour soi! Et le chacun pour soi, c'est vraiment miteux et indigne de nous en tant qu'humanité.
Et là, je n'ai plus envie de participer au bon fonctionnement de la société, de payer mes factures, de cotiser pour les retraites des autres. Parce que quand j'ai un pépin parce que je suis une fille, j'ai tort. Alors je fais quoi? Je m'excuse de ne pas m'être encore fait violer? Rançonner? J'aurais dû m'allonger direct sur le sol, leur filer mon sac et leur dire merci? Et puis quoi encore!!! Non mais.
Heureusement, ça n'a pas dégénéré, heureusement, ils n'étaient que deux et hélas, ils sont allés trouver une proie à enquiquiner moins coriace et moins chieuse dans un autre wagon.
Les loubards sont comme les chiens, ils sentent la peur. Ils attendent que l'on dérape pour avoir une bonne excuse pour vous dérouiller. Ils attendent d'être à court d'arguments pour frapper. Ils attendent d'être en nombre suffisant pour vous faire votre fête.
Ce n'est pas nouveau, le loubard a toujours été comme ça. Ce qui est nouveau, c'est qu'il ose à 19h30 dans un métro dans Paris et que personne n'ouvre sa gueule pour aider.
Et ça, c'est lamentable, lamentable.
Parce que quand moi,
j'arrive à garder mon sang-froid et à ne pas faire monter la
mayonnaise, y a tous ceux et celles qui n'y arrivent pas, qui flippent
et à qui il arrive des ennuis et qui, après, se mettent à avoir
tellement la trouille qu'ils n'arrivent plus à vivre. Et ça pourrait
être moi. La fois de trop. Le soir où je suis fatiguée.
Et ceux-là ensuite font des généralisations, n'osent plus aller dans certains quartiers. Vivent dans des résidences avec triple digicode à l'entrée et fusil dans le salon.
L'ignorance et la peur sont de la même famille. Elles générent les plus grandes catastrophes. Et les plus grandes injustices. Et les premières victimes en sont toujours les plus faibles.
Et c'est tellement débectant que je ne veux plus en parler.
J'ai trop honte de nous. Ca m'écoeure.
On
ne devrait pas vivre dans la peur si on était si évolués qu'on prétend
l'être. On ne devrait pas se réfugier dans notre petit confort.
Je crois que le pire dans l'humain quand il voit quelqu'un tomber à
côté c'est que, fugitivement, il pense "ouf, ce n'est pas moi".
On
nous a expliqués cela dans un cours à la fac et ça me révoltait. Et je
trouvais ça faux. Je ne pouvais pas croire à ça. J'étais naïve. Car
hélas, ça s'avère être vrai trop souvent.
Alors oui, on peut relativiser, on peut prendre du recul sur tout.
On peut rationnaliser tout. Mais au fond, on est tous dans la même
galère. Nous les six milliards qui se baladent sur la planète. Et on
patauge, on rame. Et franchement, c'est indigne de nous de se tirer
tous dans les pattes.
Parce qu'on finira tous par crever. Les
grands, les petits, les maigres, les riches, les gros. Et aucun de nos
masques, aucune de nos protections ne nous protège de ça. Et on ne sait
toujours pas ce que l'on fiche là.
Alors si seulement on n'arrêtait de se gâcher la vie les uns les autres. Ce serait mieux.
Mais apparemment, ce n'est pas le cas. Hélas.
Mais tout n'est pas noir. J'ai retrouvé ma télécommande et y a des
feuilles aux arbres! Et le métro, c'est mon métro. Et je ne veux pas
avoir peur d'y aller. Et je n'aime pas les conflits. Ca épuise. Et ça
gâche la vie. Même si ça ne se termine pas trop mal.
Parce que le
jour où ça se termine mal, on a plus que ses yeux pour pleurer. Et ça
vaut vraiment pas la peine d'en arriver là. Parce que c'est trop con.
Et la vie est trop belle pour se la gâcher.
Bon samedi.