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caelle
14 novembre 2005

Le homard (1ère partie)

Papa, il n’a jamais su compter. Ni en amour ni pour l’argent. Présenté comme ça et surtout quand c’est lui qui le dit, ça passe, c’est sympa. Spécialement quand c’est une interlocutrice repue de homard dont les yeux vont et viennent des chandelles vers la main de Papa qui tend une de ces cartes en plastique pour régler au serveur ledit homard. Y a pas à dire, les crustacés et les chandelles, ça rend optimiste, et il ne le sait que trop bien. Généralement, je ne suis pas conviée à ce genre de raouts. Dommage car cela pourrait peut-être m’aider à supporter tout ce qui s’ensuit. Parce que bien entendu, après le homard et les petites meringues, la convive de Papa se sent pousser des ailes et s’attache. Et là, mes ennuis commencent.
Parce que généralement, la charmante croit que c’est gagné, qu’elle l’a ferré et que même si l’oiseau est coriace, elle va être capable de le façonner à son idée. C’est marrant, cette manie qu’ont les femmes de prendre n’importe quel type portant beau à leurs yeux, de le décortiquer, d’analyser point par point les défauts et d’en conclure qu’elles vont arriver à le retailler à leurs mesures. C’est une sorte de complexe du sculpteur qui prend un bloc de pierre et qui, à force d’en raboter les contours, en sort une merveille de délicatesse ou peut-être plus exactement, le complexe de la couturière. Elle a le patron, le tissu, les outils et le temps et à force de patience, elle va se créer le tailleur parfait. En somme, les copines de Papa sont des artistes de l’amour, des petites mains de la vie de couple.
Evidemment, cela ne serait pas grave pour moi si je restais en dehors de cela mais hélas, Papa met un point d’honneur à leur présenter Claire, sa fille chérie, quatorze ans, une mignonne petite puce, tu ne peux que l’aimer, tu verras.
J’étais dans la cuisine en train de me confectionner un sandwich digne de ce nom quand j’ai entendu la porte s’ouvrir et la voix de Papa faire à Charlotte cette élogieuse présentation de ma personne. Je savais qu’elle s’appelait Charlotte car il m’avait dit son nom avant de partir dîner. Trop tard, j’étais coincée, pas moyen de retourner dans ma chambre faire semblant de dormir sans les croiser dans le couloir.
Il allait bien falloir affronter l’intruse, sauf que ce soir, et ce n’était pas habituel, Papa n’avait pas toutes les cartes en main.
C’est étrange, croyez-en ma longue expérience de belle-fille, comment la prétendante toujours involontaire au titre de belle-mère croit que le cœur d’un homme qu’elle découvre être un père se gagne au prix d’une lutte avec la puce en question. Chacune a sa tactique. Cela peut être la douceur. Lui susurrer d’une voix sucrée en lui emprisonnant délicatement le bras dans ses mains après m’avoir ébouriffé les cheveux qu’assurément je suis trognonne. Cela peut aussi être chez certaines l’autorité. A croire qu’un père seul attend que l’on lui visse sa fille.
Celle-ci avait l’air réservé. Elle se tenait dans l’entrée, son imperméable plié sur le bras, cherchant des yeux un éventuel perroquet où pouvoir s’en débarrasser. Papa me vit :
- Encore debout ? Ca tombe bien, je te présente Charlotte.
Charlotte me tendit une main que je saisis avec un temps de retard. Ma façon de montrer les dents, d’être discourtoise sans paraître mal élevée. Charlotte le sentit mais fine mouche, fit mine de ne pas s’offusquer.
Malgré moi, elle me plut et tout d’un coup, j’aurais voulu pouvoir empêcher ce qui allait se passer, la retenir, lui dire que comme ça, d’instinct, c’était elle que je voulais comme belle-mère. Si j’avais connu le morse ou la langue des signes, je l’aurais avertie, je lui aurais crié qu’il fallait qu’elle ne tienne pas compte du prochain épisode, qu’il fallait qu’elle se bouche les yeux parce que forcément, une fois qu’elle aurait vu la suite, elle allait sortir de ma vie et nul ne sait qui prendrait sa place. Impuissante, me jurant intérieurement qu’il fallait absolument que j’apprenne à hypnotiser les gens afin de modifier le cours des choses, je lui proposai un morceau de mon sandwich.
Elle me sourit, fit signe non de la main puis se figea. Papa aussi blêmit et son regard se fixa derrière moi. Voilà, c’était arrivé.
Une voix sèche déchira le silence.
- Alors Pierre, comme ça, tu deviens bigame et tu oublies de me le dire ? Devant ta fille en plus, c’est du beau.
Elle, c’était Sandrine, l’officielle. Ma belle-mère depuis six mois. Celle qui avait réussi à se faire épouser de Papa en un temps record mais qui depuis ne faisait que m’empoisonner la vie et la sienne aussi puisqu’encore avant-hier, ils avaient cassé beaucoup de vaisselle dont mon bol favori, celui avec l’éléphant bleu qui faisait du trapèze. C’est bête, je l’avais depuis toujours. En tout cas, cette fois-ci, elle était partie en claquant la porte si fort que la patère de l’entrée s’était décrochée.

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Commentaires
V
C'est vrai que c'est mal vu d'inviter chez soi une femme (ni amie, ni collègue) alors que l'on est encore marié... Chapeau, monsieur.<br /> <br /> Mais POURQUOI couper l'histoire à un moment si... tant... (gestes des mains...) si... ? ? ? Ne tarde pas trop à mettre la suite.
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